Le maintien et le développement du taux d’emploi des femmes est l’un des plans des Abenomics (womenomics). Lors du petit déjeuner du 28 mai dernier, organisé par l’association Femmes Actives Japon, Muriel Jolivet, professeur émérite de l’Université de Sophia, a dressé le portrait des femmes japonaises qui travaillent.
Muriel Jolivet et le Japon
Muriel Jolivet est installée à Tokyo depuis 1973. Ses thèmes de recherche de prédilection sont la famille, le mariage et la place des femmes. Elle a publié plusieurs ouvrages sur ce thème ainsi que sur la société dans son ensemble :
- L’université au service de l’économie japonaise (Economica, 1985)
- Un pays en mal d’enfants (La découverte, 1993)
- Homo Japonicus (Picquier, 2000)
- Tokyo Memories (Antipodes, 2007)
- Japon, la crise des modèles (Picquier, 2010)
- Tokyo instantanés (Elytis, 2012)
- Confidences du Japon (Elytis, 2014)
Son dernier ouvrage, toujours aux éditions Elytis, est à paraître en janvier 2019.
Elle a fait l’objet d’ un article qui revient sur sa biographie dans le Japan Times : « Muriel Jolivet« et plus récemment dans La Croix (« Le Japon dans la peau« ).
Les femmes japonaises et le mariage
Pour bien comprendre la façon dont la femme japonaise envisage sa carrière professionnelle, il faut garder à l’esprit qu’il existe deux jalons très importants : l’entrée à l’université (prélude à l’entrée dans le monde du travail) et le mariage.
Comme le souligne Muriel Jolivet, la société a une image négative des femmes qui ne sont pas mariées. Une femme qui ne se marie pas et qui n’a pas d’enfant est considérée comme une «perdante», même si elle réussit dans le milieu professionnel. Ce thème reste le sujet de nombreux ouvrages récents dont le bestseller de Junko Sakai, Makeinu no toboe (Les hurlements de dépits des chiens battus) (2006) ou plus récemment du livre Konbini ningen de Sayaka Murata (prix Akutagawa en 2016), traductions française Konbini ou la petite fille de la supérette (2018).
La femme active japonaise
La femme japonaise n’a pas toujours été une femme au foyer.
Autrefois, les femmes ont toujours travaillé, dans le commerce et dans les champs. L’après-guerre a constitué une rupture dans l’organisation sociale. C’est ainsi que la femme a commencé à se projeter comme femme au foyer, pendant que les hommes travaillaient dur pour reconstruire le pays. Avec la nucléarisation de la famille, devenir femme de salari man est devenu un idéal auquel les femmes aspiraient. 34,2 % des femmes aspirent encore aujourd’hui à devenir femme au foyer, ce qui devient plus difficile, compte tenu de la conjoncture économique.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes: en 2016, près de 50% (49,1%) des femmes entrent dans une université, mais 26 % d’entre elles arrêtent encore de travailler à l’occasion de leur mariage (un quart d’entre elles étant déjà enceintes).
Note : le chiffre de 49,1 % est même de 57,7% si on ajoute les 8,6% de jeunes filles qui intègrent les collèges universitaires à cycle court (tanki daigaku). D’après les statistiques du Ministère de l’Education, de la Culture, des Sports, de la Recherche et de la Technologie, Gakkô Kihon chôsa. Report on School basic Survey.
Comme 44% d’entre elles cessent de travailler après la naissance de leur premier enfant, cela fait près de 70 % de femmes qui sortent très rapidement du marché du travail.
Même si le palier s’est considérablement réduit au fil des années, cela se traduit encore par une « courbe en M » marquée par l’entrée des femmes dans la vie active entre 20 et 25 ans, suivie d’une diminution entre 30 et 45 ans, avec un retour progressif dans le mi-temps (qui correspond souvent à un plein temps en France) jusqu’au départ à la retraite.
Précarité de l’activité féminine au Japon
La femme active japonaise a une position relativement précaire. Si l’université apparaît comme un paravent contre les emplois dits « non-permanents » (hi seiki koyô), cela est surtout vrai pour les hommes, car parmi les 40 % de travailleurs non-permanents que compte le Japon, 58 % sont des femmes, ce qui se traduit par des inégalités salariales importantes. Des associations se développent pour aider les mères célibataires dont plus de 50% sont dans une situation précaire.
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Des managers ?
Aujourd’hui seules 9% des femmes occupent des positions managériales dans les sociétés privées, ce qui est loin de l’objectif que le gouvernement avait fixé en 2003, qui était d’atteindre 30 % en 2020.
Depuis la loi Equal Employment Oppotunity Law, entrée en vigueur en 1986, une femme a le choix entre deux statuts à l’embauche : celui de ippan shoku (autrefois connu sous le nom de OL ou Office Ladies) (poste de secrétaire et/ou d’assistante) ou un emploi dit de généraliste (sôgôshoku), identique à celui des hommes, leur donnant théoriquement droit aux mêmes promotions. Aujourd’hui, celles qui choisissent le ippan shoku restent majoritaires (82,1%, contre 17,9% des hommes), tandis que seules 22,2% de femmes optent pour le sôgôshoku (77,8% des hommes). Au bout de vingt ans, neuf femmes sur dix ont quitté leur emploi de sôgôshoku, ce qui révèle la difficulté de mener de front carrière et vie familiale.
Dans l’administration, une récente étude montre que moins de 10% des femmes sont cadres. Quand on demande pourquoi elles sont si peu nombreuses, les réponses sont édifiantes : 48,9 %, d’entre elles sont considérées -ou se considèrent – comme n’ayant pas les compétences requises et 17,9 % d’entre elles ne souhaitent pas occuper un poste d’encadrement.
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Quelle évolution pour les femmes actives japonaises ?
Alors qu’en 1992, 60 % des personnes interrogées étaient satisfaites du modèle « femmes à la maison et hommes au travail », le chiffre est descendu à 40 % en 2016, ce qui témoigne d’un changement des mentalités. Avec la stagnation des salaires, la contribution salariale de la femme commence à s’imposer pour maintenir le niveau de vie de la famille. Reste à savoir si les hommes seront disposés à soutenir leur femme dans travaux ménagers et les soins aux enfants.
En dépit de quelques initiatives gouvernementales, on observe encore au Japon, qu’une femme qui a des enfants travaille rarement et qu’une femme qui travaille n’a pas d’enfant. Avec la baisse alarmante de la natalité –auquel s’ajoute un besoin désormais criant de main-d’œuvre– les femmes ont en quelque sorte l’avenir du pays entre leurs mains. Reste à savoir si elles en profiteront pour agir et peser enfin sur les décisions d’un gouvernement qui reste majoritairement masculin.
HM
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